1. Ma Théorie
En attirant l'attention sur l'Afrique de l'Ouest en tant que région, nous appelons à la prise de conscience, à la vigilance et à la conscience politique de la part du reste de l'Afrique quant à la position du Continent dans le contexte actuel de l'ordre mondial. Depuis bonne lurette, plusieurs personnalités éminentes nous alertent sur notre condition : Nathalie Yamb, Julius Malema, Prof. PLO Lumumba, Ambassadeur Arikana Chihombori, entre autres. Nous devrions suivre leurs discours pour mieux comprendre le sort de notre Continent. Nous aurions le droit de nous poser la question : Que font nos dirigeants quand ils accourent aux réunions avec Paris, Washington, Péking, Berlin, etc? Que voient-ils dans les contrats léonins qui nous lient à des multinationales étrangères ?
Le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont démontré que nous avons la capacite de nous libérer de la condition de pauvreté et de guerre dans laquelle les pays du Nord veulent nous maintenir : vivoter sans développement, car eux-mêmes ont besoin de nos ressources pour le maintien de leur prospérité. Il suffit de regarder la fréquence des visites en Afrique des dirigeants européens et de se demander ce qu'ils recherchent : le Chancelier Allemand s'est rendu cette année dans de nombreux pays africains, après que l'Allemagne ait eu pris conscience de sa faiblesse économique après avoir permis l’explosion du gazoduc Nordstream et imposé des sanctions à la Russie. L’Allemagne et l’Europe en général doivent chercher ailleurs leurs sources alternatives d’énergie. Entretemps, à qui profite la crise énergétique européenne [1]?
L’énergie (le gaz et le pétrole) est aujourd’hui la question stratégique qui détermine les relations mondiales. C’est la raison pour laquelle l’Amérique occupe encore aujourd’hui certaines parties de la Syrie et de l’Irak ; c'est pourquoi l'instabilité continue de faire rage en Libye ; c’est pourquoi l’instabilité persistante au Sahel suscitait et demeure toujours un intérêt. L’Afrique Orientale et Australe détiennent aussi d’abondantes sources d’énergie. Néanmoins :
Nous n'en avons pas l'argent nécessaire,
Nous n'en avons pas la technologie,
Nous ne disposons pas de la main d'œuvre qualifiée pour son extraction,
Nous n'avons même pas la capacité de mesurer ces ressources.
Pourrait-on être en plus grande vulnérabilité que celle-ci face aux intérêts étrangers ?
SAUF : Les trois pays du Sahel les plus touchés par l’insécurité ont pris conscience que leurs efforts sécuritaires ont été systématiquement sabotés au fil des années. Ils ont décidé de rapidement couper toute coopération avec la France et l’Union européenne sur les questions de sécurité. C’est une preuve supplémentaire, si preuve il en serait question, qu’aucune armée étrangère ne peut rétablir la paix dans un pays. Les événements au Mali et au Burkina depuis le départ des forces françaises en témoignent largement.
Les pays d’Afrique Orientale et Australe feraient bien de suivre de près les efforts de ces trois pays visant à retrouver leur autonomie et leur indépendance. Si l’on ne veut pas se laisser surprendre par une jeunesse qui aujourd’hui ne partage pas nécessairement l’enthousiasme pour un passé glorieux des anciens combattants pour l’indépendance. Je pense que nous sommes trop à l’aise et pas suffisamment attentifs à l’ordre néocolonial actuel qui repose sur l’exploitation de nos ressources. En fait, nous semblons accepter et faciliter une industrie exclusivement extractive. Nos dirigeants se disputent de la place aux fenêtres et perçoivent de lourdes taxes et redevances, tandis que le reste de la population se bat pour un travail décent, pour l’accès à l’électricité, etc. Alors que nous observons nos ressources, dont le bois, exportées à l’état brut sous nos yeux.
Nous nous demandions quel dirigeant nous représente et qui peut nous prête sa voix ? Nous avions pensé avoir découvert un tel Président Ruto du Kenya qui devenait notre porte-parole continental dans la lutte pour la souveraineté de nos ressources et pour la fin des relations économiques inégales. Après avoir déclaré haut et fort que le système international est injuste envers l'Afrique, il se retourne pour dire que parler de compensation pour l'esclavage c’est revenir au passé et qu'il fallait plutôt passer à autre chose et regarder devant! Puis, nous avons vu sa servitude dans le traitement de la visite du roi d'Angleterre. Que dirait d’autre alors ce Président Ruto pour montrer qu’après tout il n’est pas le défenseur de nos intérêts ? Notre ambassadeur pour les questions climatiques ? Suivant les arguments autour du financement climatique, des énergies dites vertes et des crédits carbone, on a l'impression qu'il s'agit d'une arme à double tranchant qui aboutira à une nouvelle colonisation de l'Afrique : le carbone servant de cheval de Troie. Il ne nous semble pas capable de délivrer ce qu'il promet, mais ce que nous allons certainement voir c'est :
la perpétuation de l'extraction dans leur état brut des ressources naturelles de l'Afrique, permettant l'achat de vastes étendues de terres par des pays riches et coupables majeurs de pollution[2]. Ils en sont déjà les victimes : l’Ouganda, la Tanzanie, le Libéria, le Zimbabwe, le Kenya. Et ça évolue.
Grâce à ces achats de terres, les grands pollueurs se sentent rassurés et autorisés à continuer de polluer sous prétexte que le carbone qu'ils produisent est absorbé en Afrique.
Dans cet article, je souhaite mettre en exergue les développements en Afrique de l’Ouest autour de ces trois pays, de la CEDEAO, et spéculer sur ce que nous pouvons et devons apprendre de cette situation.
2. Événements historiques au Mali, au Niger et au Burkina Faso
• La Guerre de la Communications
Le Mali et le Burkina Faso ont décidé de retirer le Français de la catégorie de langue officielle pour la reléguer au rang de langue de travail. Pour des raisons évidentes, le Français ne saurait être totalement abandonné, mais il s’agit là d’une étape importante qui permettra la reconnaissance et la valorisation des langues nationales. Le débat est inévitable autour de la question d’une langue diplomatique africaine. En ce sens, j’ai écrit plusieurs articles autour des avantages de la langue Kiswahili[3]. D’une manière ou d’une autre, il faut investir, car il ne faut pas se tromper que l’adoption d’une langue africaine commune se fera par décret. Tout effort demande des ressources car cette guerre est autant culturelle qu’économique, politique et diplomatique.
Radio France Internationale a reçu l’ordre de quitter ces pays, même si la Côte d’Ivoire est prête au nom de la France à œuvrer pour son retour. Sans cela, la guerre des communications est perdue. J’oserais même affirmer que la communication représente les 30 % de l’effort de guerre. Voilà pourquoi RFI doit revenir et réoccuper l'espace perdu pour dominer la version de l’histoire qu’on écoute ! La guerre de communication est une arme de mobilisation et de formation d’opinion puissante. Aujourd’hui encore, une grande partie des intellectuels en Afrique se réveillent et se précipitent pour entendre ce que disent de nous la BBC, CNN et RFI. Quelle est notre version de ce qui nous arrive, de notre histoire ?
• La Reprise de Possession des Ressources Nationales
Il est de notoriété publique que depuis longtemps la France contrôle les économies des pays d’Afrique francophone[4]. L'or au Mali et au Burkina Faso, l'uranium au Niger, les ports un peu partout en Afrique Occidentale et Centrale, etc. Développements récents : Le Burkina Faso et le Mali investissent désormais dans des raffineries d’or sur leur territoire. Le Burkina Faso a même renégocié des accords sur l'or avec certaines sociétés australiennes et russes afin d'exercer un plus grand contrôle sur cette ressource nationale.
Le Niger a imposé la vente de l'uranium au prix du marché ; Alors que par le passé le Niger vendait un kilo d'uranium à la France 0,8 euro/kilo, la France vendait le même kilo sur le marché à 200 euros. Il est désormais temps de le prendre au prix du marché, ou de le laisser. Après tout, avec autant d’uranium destiné à l’Europe, 80 % du Niger reste dans l’obscurité et sans énergie domestique. J'y ai vécu et travaillé et j'en sais quelque chose. Ce n’est donc pas étonnant que les sommets de la CEDEAO soient désormais remplis d’envoyés européens et ressemblent davantage à des sommets de l’Union Européenne ! L'Europe s'inquiète du gazoduc qui relie le Nigeria à l'Europe et qui traverse le Niger. De l'énergie, de l'énergie, de l'énergie. Si vous avez vécu en Europe comme moi, vous savez ce que signifierait en Europe une journée sans gaz ni pétrole!
Une entreprise française gérait les systèmes d’eau et d’assainissement au Niger (au moins à Niamey). Cela a également cessé ce mois-ci et une entreprise nigériane reprends désormais les services. Même l'ambassadeur de France Itte, qui ne voulait pas quitter le Niger après avoir reçu un Personna non Grata de 48 heures, s'est vanté que l'eau consommée par Niamey était de l'eau française. Du fleuve Niger qui traverse le milieu de la ville de Niamey ! Pourrait-on être plus otage des intérêts étrangers que cela ?
Quand on regarde la double taxation et le contrôle français des services municipaux (eau, assainissement, transports urbains, péages, etc.), quel contrôle la France maintient-elle en Afrique ? Visitez simplement Abidjan et Dakar. Il est de notoriété publique que les sociétés minières nationales des pays francophones d’Afrique de l’Ouest ne peuvent pas creuser à plus de 12 mètres de profondeur dans leur propre sol sans demander l’autorisation de la France.
Le Burkina Faso prend également des mesures pour établir une centrale nucléaire pour une meilleure autonomie énergétique.
• Des Accords Déséquilibrés
Le Niger vient également de dénoncer la convention de double taxation avec la France, dénonciation qui entrera en vigueur d'ici quelques mois : La double taxation est un système financier par le biais duquel une entreprise établie hors de son pays d'origine doit payer des impôts sur les revenus obtenus de l’exploitation dans le pays d'origine, et doit encore et normalement payer des impôts sur les revenus rapatriés dans le pays d'origine (de l'entreprise). Pour contourner cette double taxe, de nombreux pays, et notamment la France avec les pays africains (le Niger dans le cas d’espèce), se sont accordés sur un régime qui permet aux entreprises françaises de rapatrier les bénéfices sans être taxées à l'origine, à condition qu'elles le soient uniquement en France. Contre la même procédure pour les entreprises nigériennes en France. On dirait a priori que voici la réciprocité dans ce type d’accord. Mais la question se pose alors: combien y a-t-il d’entreprises nigérianes en France et quel est leur volume d’affaires ? Pensez à Air France et Orange ! Eh bien, c’est terminé maintenant. Nous pourrions également en tirer une leçon ou deux.
Nous savons tous que, notamment après le sommet de La Valetta sur la migration, l'Europe a transféré la gestion des migrations vers l’Europe aux gouvernements africains, déplaçant ainsi ses frontières vers le Sahel. Plusieurs pays africains ont été financés par des accords de gestion des migrations au nom de l’Europe, une sorte de « nous vous donnons de l’argent et vous vous chargez d’éloigner vos populations de nous ». Le Niger, pays clé de cette stratégie, vient de dénoncer un tel accord avec l'Union Européenne. Nous ne sous-estimons aucunement les nombreux dangers de cette migration irrégulière, qui comprend la traversée du désert inhospitalier du Sahara, les trafiquants d'êtres humains, le passage par les pays d'Afrique du Nord qui considèrent les Africains noirs comme inférieurs - le marché d’esclaves noirs en Libye, les événements de Tunisie, du Maroc et d'Algérie, et la traversée du charnier en Mer Méditerranée où les gardes nationaux des pays d'Afrique du Nord ont été entrainés et armés par l'Europe pour lutter contre l'immigration. Cependant, confier le contrôle des frontières aux pays africains est un manque de respect et une perversion de la gestion des relations entre pays. Eh bien, le Niger vient de dénoncer un tel accord restrictif de lutte contre l'immigration.
Peut-être pas de mon vivant, mais les Européens pourraient un jour chercher refuge en Afrique, ne serait-ce qu’en raison des catastrophes environnementales qui les attendent. Regardez par exemple leur intérêt pour nos parcs nationaux, de plus en plus hors de portée de l’africain, avec la connivence de nos propres dirigeants. Des jardins d'Eden pour les autres.
• L'intégration Régionale Mise en Cause
La CEDEAO s’est comportée en tant qu'agent des intérêts coloniaux étrangers dans les événements qui ont survenus dans les trois pays, et en particulier au Niger. Ses agissements l’ont discrédité comme organisation fédérative. Son impulsion et ses efforts pour recourir à la force plutôt qu'à la diplomatie dans le cas du Niger l'ont rendue complètement discréditée. L’imposition de sanctions à l’encontre du Niger non seulement n’est pas inscrite dans son acte constitutif, mais elle constitue même une auto-subversion contraire à la nature de ses objectifs. Toutes ces actions ont suscité une réaction : les 3 pays viennent de créer une Alliance des États du Sahel (AES), premier pas vers une confédération. Et ils ont décidé de se retirer du G5 Sahel, dans laquelle la France exerçait une influence excessive. Le Tchad et la Mauritanie, seuls pays restants du G5 Sahel, n’ont fait que reconnaître cette situation et ont fini par le dissoudre. Même si la forme de ce retrait était un faux pas diplomatique et peu judicieux en raison des conséquences sur les structures administratives créées autour du G5, l'acte lui-même est révélateur d'un sérieux mouvement d'abandon de toutes les forces coloniales qui pèsent sur eux. Nous espérons que la question monétaire sera bientôt attaquée.
3. Conclusions Sombres
Il est clair que ces pays consentent de grands sacrifices pour se libérer, ils paient et continueront de payer lourd pour avoir remis en cause les intérêts économiques de la France et de l’Occident. Souvenez-vous d'Haïti, souvenez-vous de la Guinée, souvenez-vous de Sylvanus Olympio[5]. L’Occident pense toujours qu’il a le droit exalté de déterminer qui doit s’associer à un pays africain. Remettre en question cette idéologie de suprématie raciale comporte des risques de déstabilisation économique, politique et sécuritaire.
Nous trouvons contradictoire la position de la CEDEAO qui continue de maintenir des sanctions économiques à l’encontre du Niger, alors que les États-Unis ont envoyé un nouvel ambassadeur, qui a présenté ce mois-ci ses lettres de créance aux nouvelles autorités. De nombreuses contradictions semblent persister dans le comportement de la CEDEAO. D’ailleurs, j’avais également été accrédité en tant qu’ambassadeur du HCR auprès de la CEDEAO (2018-2020).
Les États-Unis persistent à maintenir une base militaire aérienne au Niger pour lutter contre le terrorisme. Nous suivons avec attention, tout en sachant qu’on ne peut pas corriger tout de suite toutes les situations indésirables, mais dans l'espoir que les autorités nigériennes trouveront une formule diplomatique et ferme pour sortir de cette relation. Surtout avec un pays qui établit et maintient une présence militaire partout où il voit une ouverture, loin de son territoire. Et en plus, systématiquement il se réclame l’extraterritorialité !
Jose
Décembre 2023
[1] https://www.globalwitness.org/en/campaigns/fossil-gas/crisis-year-2022-brought-134-billion-in-excess-profit-to-the-wests-five-largest-oil-and-gas-companies/
[2] https://www.theguardian.com/environment/2023/nov/30/the-new-scramble-for-africa-how-a-uae-sheikh-quietly-made-carbon-deals-for-forests-bigger-than-uk
[4] https://hir.harvard.edu/true-sovereignty-the-cfa-franc-and-french-influence-in-west-and-central-africa/
[5] https://www.quora.com/Why-was-then-president-of-Togo-Sylvanus-Olympio-assassinated-What-was-the-real-story-behind-the-assassination Par contre, l’histoire qu’on veut que nous adoptions veut qu’Olympio ait été assassiné par des soldats non contents sur la représentation ethnique dans l’armée. Qui raconte l’histoire finit par définir la victoire.
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